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Service Mobile Money au Bénin: La vigilance comme seule solution à l'arnaque

Service Mobile Money au Bénin: La vigilance comme seule solution à l'arnaque

Le service financier mobile s’est développé à une vitesse exponentielle ces dernières années au Bénin. Essentiellement animé par les réseaux GSM, le nombre d’utilisateurs du Mobile Money est passé de 906 006 abonnés actifs au 31 décembre 2016 à 2 665 345 en fin décembre 2018. Simple et fonctionnel, le service financier mobile a transformé les habitudes de millions de consommateurs, mais a également fait naître un nouveau type d’escroquerie. Mode d’emploi et coût d’une arnaque dont les victimes se comptent par milliers. Enquête…

Mireille Kakpo gérait une structure de transfert d’argent au quartier Akpakpa dans la ville de Cotonou. Jeune mère de 32 ans avec 4 enfants entièrement à sa charge, elle assumait tant bien que mal son rôle de chef de famille avec cette activité. Jusqu’à ce matin du mois d’août 2018 où vient ce fameux appel qui assombrira sa vie, celle de ses enfants et l’endettera à jamais. « Comme tous les matins, je suis arrivée tôt au boulot. Vers 9 heures, j’ai reçu un appel. L’intéressé m’a demandé si c’est madame Mireille et j’ai répondu oui. Il m’a dit qu’il appelle de la direction générale de Moov qui veut aider les revendeurs de crédit et opérateurs Moov money à faire des bénéfices. Après ça, il m’a donné des codes à taper sur mes deux téléphones de transfert d’argent, Moov et Mtn, puis m’a dit de les éteindre. Jusque-là, je ne savais pas que c’est une arnaque ». Lorsqu’elle s’en est rendu compte, c’était trop tard. Dame Mireille Kakpo venait de se faire escroquer d’une somme d’environ 400.000 mille francs CFA.

Comme Mireille, plusieurs sont ces marchands mobile money qui sont déjà tombé dans le piège des arnaqueurs souvent très créatifs. Les discours pour les appâter sont aussi variés qu’il y a d’arnaqueurs. C’est ce que relève Olivier Akpata, responsable de la section Moov money à la Direction générale de Moov Bénin. « Pour ne pas éveiller la vigilance de leurs victimes au cours de l’opération, les arnaqueurs leur demandent de taper les codes de manière séparée, c’est-à-dire chiffre par chiffre. Ceux qui ne sont pas vigilants et qui exécutent les instructions transfèrent inconsciemment l’argent sur les numéros qu’on leur fait composer », explique Olivier Akpata.

Il n’y a pas que les marchands qui sont dans le viseur des arnaqueurs. Les simples abonnés disposant de compte à usage non commercial représentent une part importante de la cible des hors-la-loi. « Aux abonnés, ils disent qu’ils ont gagné un lot d’encouragement du réseau et pour le récupérer de se rapprocher d’un agent de transfert d’argent et de lui passer le téléphone. Une fois le téléphone entre les mains de l’agent, ils lui tiennent un tout autre discours visant à lui faire transférer un montant dont il doit récupérer l’espèce chez l’abonné », explique un agent commercial de Moov Money qui a requis l’anonymat. Justin Agbala, la trentaine et habitant le quartier Godomey Gare, a reçu une fois ce genre d’appel. « C’est sa voix et la façon dont il me mettait la pression qui m’a mis la puce à l’oreille. Autrement, j’aurais fait le transfert qu’il me demandait pour recevoir mon lot de 250 000 FCFA », témoigne-t-il bien heureux d’avoir pu éviter ce qui selon lui aurait été un drame.



Près de 30 millions arnaqués en quatre mois

Dans un message de sensibilisation publié récemment, l’Office central de répression de la cybercriminalité (Ocrc), qui s’occupe de ces cas d’escroquerie, établit trois grands cas d’arnaque sur les comptes GSM à monnaie électronique. Le premier consiste à proposer la commercialisation de produits de santé aux abonnés ciblés. Les escrocs, derrière des numéros "étrangers" ou "inconnus" se font passer pour des médecins travaillant pour des laboratoires internationaux et invitent leurs cibles à prendre contact avec des représentants nationaux. Ce cas a déjà fait des ravages et le montant du préjudice causé s’élèverait, selon le même communiqué à près de 30 millions de francs CFA au titre des quatre premiers mois de l’année 2019.Le deuxième cas est relatif à des supposés commissions ou lots accordés par les opérateurs GSM à leurs abonnés "fidèles" ou ayant remporté des tombolas. Les abonnés ciblés sont invités à envoyer d’importantes sommes d’argent sur des comptes qui leur sont communiqués en vue de recevoir leur gain.

Le dernier cas se rapporte à des colis dans lesquels seraient dissimulées des sommes d’argent. « Les arnaqueurs prétendent envoyer des colis à des personnes qu’ils ciblent et les invitent à entrer en contact avec des chauffeurs qui doivent leur faire parvenir ces marchandises. Une fois en contact avec les chauffeurs, ceux-ci inventent des difficultés liées au trajet et demandent aux victimes de les aider à les résoudre afin que lesdites marchandises arrivent chez eux. Si les personnes contactées ne sont pas vigilantes, elles envoient des sommes d’argent et espèrent un colis qui ne leur parvient finalement pas », explique le Commissaire principal Edgar Zola, directeur de l’Ocrc.

En dépit des sensibilisations que les opérateurs GSM contactés disent organiser, plusieurs abonnés continuent de tomber dans le piège des arnaqueurs. Certaines victimes ont le réflexe d’appeler les services clients des opérateurs GSM pour signaler leur mésaventure et essayer de récupérer les sommes d’argent envoyées. Mais dans la majorité des cas, c’est une peine perdue. Les hors-la-loi sont souvent bien plus alertes. « Dans les secondes qui suivent le transfert d’argent par la victime, ils font le retrait de la totalité de la somme. Dans ces conditions, le réseau ne peut plus rien faire pour la victime », explique l’agent commercial de Moov Money. Seul recours des victimes, engager une procédure judiciaire auprès des services compétents, notamment l’Ocrc, pour tenter d’avoir réparation du préjudice subi. Mais généralement, cela n’aboutit pas. « Mes plaintes à l’Ocrc et auprès des deux réseaux sont restés jusque-là sans suite », déplore Mireille Kakpo qui un an après sa mésaventure n’a encore aucune nouvelle.

Une lutte difficile contre le phénomène

Au Bénin, l’arnaque concernant le mobile money est punie par la loi n°2017-20 du 20 avril 2018 portant code du numérique en République du Bénin en son article 566. En charge de la lutte contre la cybercriminalité, l’Ocrc reçoit un grand nombre de plaintes sur ce genre d’escroquerie. Le commissaire principal de police, Edgar Zola et ses éléments se heurtent néanmoins à une difficulté majeure lors des enquêtes. « Les arnaqueurs utilisent des numéros qui ne sont pas enregistrés en leur nom. Une situation qui constitue un obstacle au cours de nos enquêtes. Aujourd’hui, malgré l’obligation pour les GSM de faire identifier les numéros de téléphone au nom de leurs utilisateurs, plusieurs cartes Sim pré identifiées sont encore vendues dans un peu partout. », explique le commissaire principal.


Dans leur volonté de réduire les risques liés à l’escroquerie en ligne, les opérateurs ont pris plusieurs décisions comme par exemple l’interdiction des appels entrants sur les numéros de transfert d’argent, une décision censée empêcher les personnes mal intentionnées de contacter les gérants des structures de transfert d’argent sur leurs numéros commerciaux.

Suffisant ? Pas pour autant selon le commissaire Zola. « De nos jours les opérateurs GSM, dans leur désir d’être plus près de leurs abonnés, disposent d’un réseau de distribution plus ou moins organisé. Il y a des commerciaux qui sont chargés de certaines opérations et peuvent donc disposer d’informations primaires sur les abonnés et les marchands mobile money. C’est donc une possibilité pour les arnaqueurs d’entrer en possession de ces informations auprès des agents commerciaux qui ne sont pas de bonne moralité. Le cas échéant, les escrocs réussissent à avoir les numéros personnels des marchands sur lesquels ils les appellent pour ensuite commettre leur forfait », explique-t-il. Et lorsqu’ils n’ont pas de possibilité de joindre leurs cibles au téléphone, les hors-la-loi trouvent d’autres moyens pour faire des victimes. Sans pour autant attester qu’il y ait la complicité des agents commerciaux dans l’accès au numéro personnel des marchands, Olivier Akpata, responsable commercial de la section Moov Money à la Direction de Moov Bénin parle d’une autre stratégie des arnaqueurs. « A défaut d’appeler les marchands mobile money, certains criminels se rendent aux points de retrait avec deux lots de billets correspondant au montant qu’ils souhaitent déposer sur un compte. Un premier lot de vrais billets et un autre lot de faux. Ils sortent le lot des vrais billets et demandent les frais de la transaction puis font semblant de ne plus vouloir faire l’opération. En sortant, ils changent le lot de vrais billets par le second et reviennent sur leurs pas comme s’ils s’étaient ravisés. Le marchand n’ayant rien compris leur fait le dépôt de la monnaie électronique contre le lot de faux billets », fait-t-il connaître.

Vigilance et collaboration des populations, seule solution

Face à l’ampleur de la situation et des conséquences induites, les deux opérateurs GSM ont également changé de mode d’emploi. En effet, pour garantir sécurité et traçabilité autour des opérations de transfert d’argent, les marchands sont emmenés à exiger une pièce d’identité aux clients. « Pour le moment, c’est compliqué. Mais, les gens finiront par comprendre », témoigne l’agent commercial de Moov Money.

L’Office central de répression de la cybercriminalité par ses actions et collaborations a déjà réussi à mettre la main sur des criminels. Lorsque ceux-ci entrent dans les mailles de l’office, ils sont présentés au procureur de la République pour répondre de leurs actes. Mais la tâche n’est pas souvent aisée. Le commissaire Zola déplore par exemple le manque de collaboration de la part des populations pour dénoncer ou fournir des informations utiles sur les criminels.

Toutefois Olivier Akpata tient à rappeler qu’en dépit des risques notés, l’utilisation de la monnaie électronique reste sûre et fiable. « L’électronique, c’est l’avenir. Il est donc nécessaire d’adapter les habitudes à l’évolution du monde au risque d’être surpris ou dépassés par les événements. Nous sommes à l’ère de la dématérialisation et nous devons apprendre à utiliser moins l’espèce à cause des risques : il y a les risques de maladie dues au toucher, il y a aussi l’insécurité en raison des braquages par exemple », souligne-t-il.

Herman AHOUANDE

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