La crise née du processus électoral ayant conduit aux élections législatives du 28 avril 2019 continue de susciter moult réflexions et analyses. Avec la plume alerte et rigoureuse qu'on lui connait, Expédit Ologou verse sa lecture de la situation critique que traverse le Bénin au débat. Une réflexion pleine d'invites, subtilement énoncées, à un certain nombre d'acteurs politiques afin de renouer définitivement avec la quiétude, autrefois argument de vente du Bénin. Lisez plutôt !
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Crise électorale 2019 : sortir de la passion de l’illimité.
Et maintenant, tirons un trait et dressons l’addition : un massif de curiosités sidérantes en lois ; des traumatismes, pertes matérielles et symboliques incalculables ; une mer de honte toute bue à la face du monde ; des meubles et immeubles en feu, quelques-uns d’entre nous transformés en bêtes, puis immolés, un peu de leur sang aspergé, ça et là, qui bénit le sol et salue les Ciels, le geste sacrificiel est exemplaire ! Certains en sont repus. D’autres, peut-être, en demandent encore ! « Plaise le Ciel qu’aucun bain de sang, qu’aucun bain de sang ne nous éclabousse et ne nous emporte dans ses flots… », Monseigneur de Souza est mort une deuxième fois… ! Mais, touchons du bois, c’est pour que vive la Patrie !
C’est vrai, il y a très longtemps que nous ne sommes plus apparus en boucle sur des chaînes internationales. Nous vendions au monde tant bien que mal ce bout de démocratie, de dignité et d’honneur… Mais l’envie de « révéler » en « star » le Bénin au monde aurait été mieux assouvie à l’aide de spécialistes de marketing plus à l’avenant… Car, la copie finale, que l’on voulait originale, est certes mâle mais pâle, sale et folle. Elle révèle la « face ombreuse » et obscure de nous-mêmes, balafrée de sang, parfois d’innocents. Nous étions si différents, pensaient les autres. Au fond, non. Nous avons mis juste du temps à être qui nous sommes… Et notre démocratie rayonne, comme jamais ! Bravo à nous ! Et surtout bravo aux-maîtres-de-toutes-choses-jamais-accomplies-par personne-sur-la-Terre-des-Hommes ! Illuminés éternels !
Au vrai, la production de la copie fut habitée de la passion de l’illimité. Passion qui postule qu’il n’y a de limite à rien ni à personne : tout, tout au-delà de tout ce qui est permis, est possible. La passion de l’illimité est jumelle du désir d’ignorance et du désir d’éternité. Le désir d’ignorance est inconnaissance et méconnaissance. Il est cette forme d’élan obsessionnel qui ignore et/ou méprise tous les autres savoirs qu’on ne maîtrise pas et tous les autres savants, experts, sages ou honnêtes citoyens qui savent mieux que soi mais qui ne pensent pas comme soi. Le désir d’ignorance est clôture de soi et volonté illimitée d’entraîner dans sa tour d’ignorance, par tous les moyens tous les autres qui pensent autrement que soi.
Quant au désir d’éternité, il est une ensorcelante illusion de se croire Dieu. En cela, le désir d’éternité fait de la passion de l’illimité une orgie. Orgie de la morgue. Orgie de la drogue. Morgue : comme il se croit Dieu, le sujet ne s’épanouit que dans l’arrogance contre les hommes et les choses, contre la Vie. Drogue : comme il se croit Dieu, le sujet se crée un univers où la vie des autres ne vaut quelque chose qu’autant qu’elle peut servir à l’assouvissement de ses seules envies par-delà-la-raison … La passion de l’illimité est la pornographie du pire…, dans la cécité et la surdité du sujet, comme il se croit Dieu !
La crise actuelle n’est pas qu’électorale. Elle est la crise de quelque de chose de plus profond dont il faut trouver le nom, le nom juste. Règne de l’argent en tout ? Crise des valeurs ? Crise de la société entière ? En attendant meilleure formulation, j’avance que cette crise est une crise de nous-mêmes.
C’est pourquoi, c’est en nous et en nous tous, sans exclusive, que réside la solution. Mais avant tout, elle passe par un point central : il faut freiner, calmer la Passion de l’Illimité ou du moins il faut qu’elle se calme. Elle doit lire, en silence, dans la pondérance, et avec l’Histoire, les résultats du scrutin du 28 avril 2019. Dans l’abstention record d’environ 80%, il y a la colère des pauvres déguerpis, des licenciés, des étudiants ; la colère des cadres de l’administration, des enseignants ; la colère des médecins, des professeurs d’université et des magistrats ; le malaise de certains opérateurs économiques ; le sentiment de nombre d’entre eux d’être humiliés à tour de rôle ; la résignation d’honnêtes gens condamnés au sort du jetable, qui ne souhaitent plus rien, n’espèrent plus rien, épaves humaines en errance qui attendent juste la dernière heure… Dans les bulletins nuls, il y a le silence opposant des obligés par les positions professionnelles, administratives et politiques. Ces colères étaient démocratiquement patientes parce qu’elles attendaient le moment par excellence de s’exprimer en dignité : les élections libres, inclusives et transparentes. Mais la passion de l’illimité les en prive.
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Faire semblant de ne pas avoir cerné ces colères et poursuivre dans la rectitude actuelle ne feraient que reporter à brève ou plus ou moins longue échéance le pire. Au Dahomey, au Bénin comme ailleurs, hier comme aujourd’hui, c’est peu, trop peu de contrôler et de mater les corps quand on n’a pas les faveurs des cœurs et des esprits... Mieux, en situation critique, tout est fluide, tout se liquéfie vite. Et surtout, les faucons ne sont pas toujours meilleurs aux cons. La Passion de l’Illimité doit le savoir et s’ouvrir aux autres, à tous les représentants authentiques de la totalité sociale.
La passion de l’illimité a l’illusion d’avoir maîtrise sur le temps, d’avoir tous les leviers en mains et fonce. Elle a l’illusion qu’elle cerne tout, qu’elle vaincra tout et tous. Car, pour elle, tous les autres pensant autrement qu’elle, sont cons, plus cons que les faucons qui pourtant ne sont pas toujours meilleurs aux cons. Mais l’Histoire dit : « C’est beau, mais c’est faux » ! L’art d’être chef n’est pas l’art d’avoir toujours raison et force sur tout et sur rien… On ne plie pas l’Histoire à soi, on négocie avec Elle sa voie…
A ceux que les basses jouissances de petits strapontins éphémères enivrent, et qui se sont rendus complices de ce qui nous terrifie aujourd’hui ;
A ceux qui, hier, étaient, par nous et par presque tous respectés, objets de nos admirations et de nos prières mais qui, aujourd’hui, étranges et méconnaissables, au-delà de nous avoir trahis, nous font peur, et nous font avoir honte et peur de nous-mêmes ; à ceux-là, prière, prière encore, prière toujours… !
A ceux qui sont tourmentés, en sang, en deuil, en larmes, en peur, en questions, par le terrible inhabituel qui nous assaille, qu’ils s’accrochent, debout, à l’espérance active, soutenue et généreuse pour la paix. Mais la paix inclusive…
Expédit B. OLOGOU
Abomey-Calavi, le 04 mai 2019.
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